Management package : un dispositif désormais risqué, (qui impose de se faire assister par un spécialiste)
Par Jean-Marc Vié, Maître des requêtes au Conseil d’État.
Par trois décisions du 13 juillet 2021[1], le Conseil d’Etat requalifie les gains résultant de dispositifs de « management package », que ce soient la minoration du prix d’achat ou les plus-values réalisées au moyen de bons de souscription d’actions (BSA) ou de contrats d’option d’achat d’actions (COA), en revenus imposables dans la catégorie des traitements et salaire, entraînant un surcroît d’imposition pour leur bénéficiaire. Si le principe selon lequel ces gains constituent des plus-values n’est pas remis en cause, les risques de requalification fiscale de l’opération sont forts. L’assistance d’un spécialiste est donc requise bien en amont pour ne pas subir une telle mésaventure.
1. En préambule
L’acquisition d’actions au capital d’une entreprise pour ses salariés et dirigeants dans le cadre d’un « management package » est devenue courante. Elle permet à ses bénéficiaires d’accroître leur rémunération en fonction des performances de l’entreprise et constitue un levier de stimulation certain. L’opération peut ainsi s’appuyer sur des Bons Autonomes de Souscription d’Action (BSA) ou des Contrats d’Option d’Achat d’actions (COA) accordés aux dirigeants
C’est dans sa formation la plus solennelle en matière fiscale (la « plénière », qui réunit les 4 chambres fiscales de la Haute assemblée), que le Conseil d’Etat a eu à connaître de la situation de deux contribuables qui contestaient la soumission à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des « traitement et salaires » des conditions préférentielles d’acquisition et des gains qu’ils avaient réalisés dans le cadre de la cession de leurs BSA, estimant qu’ils auraient dû être considérés comme des plus-values des particuliers. Dans une troisième affaire, l’administration fiscale contestait l’imposition, validée par une cour administrative d’appel, comme des « plus-values des particuliers » des gains résultant de la cession d’actions acquises en exécution d’un COA.
2. Une plus-value reste une plus-value
Dans les trois décisions en cause, le Conseil d’Etat réaffirme le principe selon lequel les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de BSA sont normalement imposables selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers des articles 150-0 A à 150-0 E du code général des impôts. Les BSA constituent en effet des valeurs mobilières qui ne font pas l’objet d’un régime fiscal spécifique.
Le Conseil d’Etat enfonce d’ailleurs le clou sur ce point en énonçant que le « caractère préférentiel » du prix d’acquisition du BSA ou de l’option ne remet nullement en cause le caractère de plus-value des gains dégagés ultérieurement par le contribuable lors de l’exercice de ces options ou bons, de la cession des titres ainsi acquis ou lors de la cession des bons. Cependant, le traitement fiscal de cette plus-value peut échapper aux règles classiques, en particulier dans l’hypothèse d’un prix d’acquisition qui se révèlerait trop modeste.
3. La plus-value réalisée sur un BSA ou une option peut être regardée comme un supplément de salaire
Si la nature de plus-value des gains réalisés est réaffirmée, les trois récentes décisions du Conseil d’Etat introduisent un nouveau critère pour définir dans quelle catégorie d’imposition ces gains pourront finalement être imposés. Le juge fiscal se livre en effet à une analyse des conditions de la cession pour déterminer si les gains sont bien la contrepartie de la qualité d’investisseur de leur bénéficiaire – rien ne change alors au principe d’une imposition des gains comme des plus-values –, ou s’ils résultent en réalité des fonctions de salarié ou de dirigeant exercées : dans ce dernier cas, ils doivent être imposés dans la catégorie des « traitements et salaires ». La nature de plus-value des gains réalisés ne suffit donc pas pour déterminer les modalités d’impositions de ces derniers. Le juge détermine si le gain procède de l’acte propre d’un investisseur, ou s’il est intervenu en raison des fonctions exercées par son bénéficiaire dans la société concernée.
Ce faisant, la plénière du Conseil d’Etat valide la doctrine administrative selon laquelle l’administration est en droit de requalifier le gain réalisé par les bénéficiaires de BSA et de le taxer, non pas nécessairement dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières, mais dans celle correspondant effectivement à la nature de l’opération réalisée (BOI-RSA-ES-20-10-20-50 n° 10 et 20).
Concrètement, le risque de requalification est fort si les BSA ont été attribués aux bénéficiaires en leur qualité de salariés ou de dirigeants et si le gain résulte directement de l’activité qu’ils ont personnellement déployée dans la société afin de valoriser les titres. Le Conseil d’Etat l’admet lorsque l’intéressé a bénéficié d’un mécanisme lui garantissant, dès l’origine ou ultérieurement, un prix de cession de ces bons « dans des conditions constituant une contrepartie de l’exercice de ses fonctions de dirigeant ou de salarié ». L’avantage obtenu revêtira le caractère d’un salaire supplémentaire – c’est-à-dire sera regardé comme une rémunération professionnelle – s’il a pour but de rétribuer les fonctions de manager exercées et les performances accomplies plus que de véritablement compenser un risque couru en qualité d’investisseur[2]. Ce revenu sera donc imposé dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts.
4. De même, en amont, l’acquisition d’un BSA ou d’une option à prix minoré peut être imposé comme un salaire
Dans cette délicate opération de (re)qualification[3], la circonstance que des options d’achat d’actions ou des bons de souscription d’actions (BSA) ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est un indice majeur sur lequel le juge s’appuie pour conclure à l’existence d’un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur. Le caractère préférentiel du prix d’acquisition s’apprécie à la date de l’acquisition et entraîne une imposition dès l’année d’acquisition dans la catégorie correspondant aux conditions de la cession : traitements et salaires si l’avantage a été consenti en raison de la qualité de salarié ou de dirigeant du bénéficiaire.
Il y a donc potentiellement deux opérations de qualification indépendantes l’une de l’autre : au moment de l’acquisition des titres, et au moment de l’exercice des BSA ou de la levée des options concernés (ou de leur cession). Le caractère préférentiel du prix d’acquisition, qui peut entraîner l’imposition de l’avantage correspondant dans la catégorie des traitements et salaires, est sans influence sur la détermination du gain réalisé lors de l’exercice, de la levée ou de la cession des titres, qui procède d’une opération de qualification distincte.
On le voit, le critère retenu par le Conseil d’Etat semble d’application très large et peut potentiellement concerner la majorité des dispositifs de management package. Le risque de requalification n’est pas négligeable dès lors que les BSA ont été octroyés à des conditions inférieures à leur valeur vénale ou encore lorsque les gains sont indexés sur la rentabilité de l’investissement financier, dans le cas d’une opération de LBO par exemple.
5. Des conséquences en cascade
Les trois décisions du Conseil d’Etat ne concernent qu’une imposition dans la catégorie des traitements et salaires. Mais il se déduit des principes appliqués que les gains peuvent tout autant être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux lorsque l’avantage a pour contrepartie une activité déployée à titre personnel, ou en tant que revenu distribué si l’avantage consenti est occulte, résulte d’un acte de gestion anormal de la société, ou a pour effet de porter la rémunération totale du bénéficiaire à un montant exagéré. Dans toutes ces situations, les gains sont imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, ce qui n’est guère favorable aux contribuable relevant de tranches élevées.
En outre, il n’est pas interdit de penser que l’URSSAF pourrait se mêler de la question en considérant que les gains doivent être soumis à des cotisations sociales du fait de la mise à disposition d’avantages à caractère professionnel au profit de leurs bénéficiaires[4].
6. Comment éviter une requalification en rémunération professionnelle ?
On aura compris que le juge (et l’administration fiscale), en restituant à l’opération sa véritable nature, peut aller particulièrement loin dans l’examen des circonstances de l’affaire de sorte que masquer simplement, ou travestir, la réalité a peu de chance de fonctionner. Si l’on se place plus sûrement sur le terrain des conditions de fond, il sera nécessaire de concevoir le dispositif de management package d’une manière telle que le bénéficiaire puisse apparaître comme « essentiellement » investisseur en capital, quand bien même il aurait aussi la qualité de dirigeant. En somme, il ne doit pas être gagnant à tous les coups mais pouvoir justifier d’un risque – au moins potentiel – de perte de son investissement.
L’on ne peut que déconseiller en particulier d’attribuer gratuitement les titres et valeurs à leur bénéficiaire, et l’on recommandera au contraire d’en déterminer le prix en fonction d’une valeur vénale la plus objective possible[5], à défaut d’une côte de marché. De même, la valeur de rachat pourra difficilement s’accommoder d’un prix fixé par avance, indépendamment de la valeur vénale[6]. Il importe de veiller à la plus grande indépendance possible entre les fonctions exercées dans l’entreprise et les modalités financières de l’opération.
En respectant ces principes, il est possible de faire œuvre de créativité. L’entreprise ou le dirigeant qui souhaite mettre en œuvre un dispositif de management package aura ainsi tout intérêt à se faire épauler par des conseillers avisés en la matière afin de sécuriser l’opération. Il semble également utile, pour susciter l’adhésion des bénéficiaires potentiels, d’expliquer à ces derniers tout l’intérêt fiscal qu’il y a à se prémunir des risques de requalification des gains, ce qui implique de devoir adopter une posture d’investisseur[7].
Jean-Marc Vié
Maître des requêtes au Conseil d’Etat (retrouver ses précédents article sur notre blog ici sur le Pacte Dutreil et LMP, là sur le Plafonnement ISF et Assurance-vie)
[1] CE, 13 juillet 2021, n° 437498, M. et Mme R. ; CE, 13 juillet 2021, n° 435452, M. S. ; CE, 13 juillet 2021, n° 428506, Ministre de l’action et des comptes publics.
[2] Le Conseil d’Etat avait déjà tenu ce même type de raisonnement dans la décision CE, 15 février 2019, n° 408867.
[3] Il en est ainsi, dans les décisions rendues par le Conseil d’Etat, d’un contribuable qui s’était associé en 2005 à plusieurs fonds communs de placement à risques et sociétés financières, dans une société holding, en vue de l’acquisition, par celle-ci, de l’intégralité des actions composant le capital social d’une société tierce. Le contribuable, nommé président de la société holding, avait souscrit des actions ordinaires de la société et bénéficié de l’émission de BSA à son profit, avant de céder l’intégralité de ses titres à un repreneur. Désigné comme le futur “manager de reprise” du groupe de la société rachetée, devant exercer les fonctions de président directeur général de la structure, dans le cadre d’un pacte d’investisseurs prévoyant un engagement de non-concurrence en sa qualité d’actionnaire ou de vendeur de titres et comportant une promesse de vente et d’achat de ses titres en cas de décès, départ ou de violation de ses engagements pour un montant global d’un euro, ainsi qu’une promesse unilatérale d’achat des investisseurs, le contribuable a vu ses gains imposés dans la catégorie des traitements et salaires dès lors que l’attribution de BSA visait à l’associer, en raison de ses fonctions de dirigeant, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession de la société et que le gain réalisé lors de la cession des bons avait essentiellement un caractère incitatif, rétribuant l’exercice effectif des fonctions de manager et les résultats obtenus.
[4] La Cour de cassation l’a déjà admis dans sa jurisprudence : Cass. Civ., 4 avril 2019, n° 17-24.470.
[5] Au besoin à l’aide de méthodes ou de modèles financiers.
[6] Selon le rapporteur public, ne suffisent pas, par eux-mêmes, à qualifier la plus-value en traitements et salaires : la minoration du prix d’acquisition de l’option ou du BSA ; la faiblesse du risque encouru par le souscripteur ; la garantie de revendre à un prix déterminé en l’absence de cause dans les fonctions de dirigeant ou de salarié ; l’octroi de l’option ou des BSA à un dirigeant recruté pour restructurer et redresser l’entreprise.
Au contraire, sont de nature à qualifier la plus-value en traitements et salaires : un mécanisme garantissant le prix de cession des BSA constitutif d’une plus-value lorsqu’il constitue la contrepartie des fonctions de dirigeant ou de salarié, ou encore la rétrocession par les investisseurs au dirigeant dans le cadre d’un LBO d’une quote-part de la super plus-value qu’il a permis aux intéressés de réaliser.
[7] Dans cet ordre d’idée, la cour administrative d’appel de Paris a récemment jugé (CAA Paris, 11 février 2020, n° 18PA03132) que des actions à bon de souscription d’actions (ABSA) peuvent constituer un investissement financier, compte tenu du risque capitalistique qui existait en l’espèce (multiple d’investissement compris entre 1 et 1,2 exposant le dirigeant à une perte potentielle de 67 % de l’investissement.