Par Louis Alexandre de Froissard le 16/09/14

Nous laissons la place à JM Serre, son article permet de prendre un peu de recul et de garder des raisons d’y croire !

ien vers la Newsletter : http://www.aurep.com/newsletter/5837

Humeur : marre du « French (ou France) bashing »
par Jean-Marin SERRE
15 septembre 2014

C’est, dit-on, un des sports favoris de nos voisins d’outre-Manche, pratiqué parfois avec humour d’ailleurs ; mais il fut également très pratiqué, avec moins d’humour, par nos amis américains, notamment sous George W. Bush lorsque la France refusa de s’engager en Irak; et naturellement, il trouve un écho très large sur les réseaux sociaux où l’on fait rarement dans la nuance, chez nos propres « élites » et dans nos propres médias, ce qui est évidemment beaucoup plus triste.

 

Nous sommes des paresseux râleurs, notre pays est « l’homme malade de l’Europe » (du Monde ?), nous sommes les « derniers de la classe », au bord du gouffre et fiers d’y être !

 

On ne fera pas ici une recherche sociologique sur un phénomène qui touche forcément à l’idéologie (la France n’est pas assez libérale, au sens anglo-saxon du terme, et donne le mauvais exemple), mais aussi sans doute à la psychologie (comment ne pas être jaloux de ces Français qui ne travaillent pas mais ont pourtant une sécurité sociale, des retraites, un système de santé performant et moins de pauvres que les anglo-saxons, sans parler d’un climat plus agréable –sauf en 2014[1]– que les Britanniques ?).

 

Il ne s’agit évidemment pas de nier les difficultés ou l’exigence de certaines réformes, simplement de « remettre les pendules à l’heure » et d’arrêter de se complaire dans le masochisme. De ce point de vue, nous avons à apprendre de nos voisins Britanniques et de leur règle de conduite : « Never complain, never explain ».

 

On se contentera donc de pointer quelques idées reçues et quelques contre-vérités qui ressortissent au domaine économique, sans prétendre être exhaustif : il y en a trop.

 

I- « La croissance repart partout en Europe sauf en France (Boursorama, BFM business, Club patrimoine … Juillet 2014) »

 

·         On nous l’avait déjà dit en juillet 2013 : la France était le « mauvais élève de l’OCDE » (L’expansion du 8/07/2013), la croissance repartait (d’après les prévisions …)  notamment en Italie et en Allemagne, mais pas chez nous. Un an plus tard, que constatons-nous ?

 

La performance allemande de 2013 a effectivement été extraordinaire : 0,4% de croissance, très loin devant la France qui a fait 0,3%. C’est à se demander si la vertu paye, surtout quand on sait que les chiffres provisoires de croissance sont mesurés à ½ point près !

 

Quant à l’Italie, son PIB a baissé de 1,8% en 2013. Sans commentaire.

 

·         Aussi bien, les journalistes ne sont pas têtus, ils admettent aujourd’hui que l’Italie est aussi nulle que la France : « La France et l’Italie partagent le bonnet d’âne pour la croissance » (Le Figaro  du 20 février 2014), « France et Italie, parents pauvres de la croissance, font front ensemble » (Le Point du 31 juillet 2014). Voilà qui est mieux.

 

Puis tombent les chiffres du mois d’août 2014 : ils confirment la nullité des deux pays latins (France, 0% de croissance au T2, Italie -0,2%).

 

La performance allemande en revanche  est remarquable : -0,2%, comme l’Italie, avec en plus un déficit extérieur ; mais les commentaires sont très différents … L’Allemagne est « victime de la crise ukrainienne », « des tensions géo-politiques », du ralentissement du commerce international, de sa situation démographique, etc. Autrement dit l’Allemagne ne l’a pas fait exprès, contrairement à la France qui s’entête dans la non-croissance.

 

Pourtant, l’Allemagne, pour autant qu’on le sache,  a bien fait le choix volontaire d’une croissance « mercantiliste » basée sur les exportations ? Donc très sensible aux aléas internationaux ? Un modèle que l’on recommande à tous les pays, comme si tous les pays pouvaient avoir des excédents commerciaux ! On touche ici à l’absurde.

 

En fait l’Allemagne est victime de la situation lamentable de la zone Euro, qu’elle a en partie contribué à créer par son intransigeance budgétaire et monétaire. C’est la Zone Euro toute entière qui est « plombée », comme le FMI et l’OCDE ne cessent de le rappeler.

 

Soyons sérieux : ces commentaires à l’emporte-pièce n’ont aucune portée et manquent singulièrement de recul. La croissance se juge dans le long terme, pas d’un mois sur l’autre.

 

II – Le match France-Allemagne dans le long terme

 

Nous empruntons à Vincent Champain et au pôle « Stratégies économiques » de l’Observatoire du long terme (dans leur newsletter du 23/04/2014)[2] ce graphique tout à fait parlant, construit à partir des données de l’OCDE et de la Banque Mondiale :

 

                Ecart de croissance entre France et Allemagne, 1981-2010

 

L’interprétation est simple : au-dessus de la ligne du 0%, le taux de croissance français est supérieur au taux de croissance allemand, l’inverse en dessous. On voit que l’avantage est globalement à la France, mais pas de façon régulière car la croissance allemande connaît des à-coups. Par ailleurs la courbe en pointillé reflète le cumul des performances depuis 1981 : fin 2010, la France est nettement gagnante. Depuis, cet avantage s’est réduit mais reste légèrement positif.

 

La différence essentielle entre la croissance française et la croissance allemande est que la première est plus stable que la seconde, sans doute parce que notre économie dépend moins de l’environnement international et que la production manufacturière (très sensible à l’environnement) y est moins importante. A noter toutefois que les augmentations de salaires de ces deux dernières années et la création d’un salaire minimum ont permis à la consommation intérieure allemande de redémarrer. La baisse de PIB annoncée le 14 août dernier est due à l’investissement et au commerce extérieur, non à la consommation. Après tout, l’Allemagne est peut-être en train de changer de modèle …

 

Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls à déplorer la cécité, ou l’amnésie sélective, de nombreux observateurs. A preuve ces graphiques extraits d’un billet en ligne de J-F Couvrat dans la Tribune (5/11/2013), intitulé « Croissance : l’Allemagne et le Royaume Uni en retard sur la France » :

 

 

 

A noter quand même que, depuis 2005, l’économie britannique a bénéficié d’une dépréciation de la Livre Sterling par rapport à l’Euro de l’ordre de 25%. Difficile de rivaliser avec un tel dumping, même en réduisant les charges de façon drastique … Et pourtant, la France fait mieux. Quel talent !

 

III – La dette, la productivité, la durée (hebdomadaire) du travail …

 

·         En matière de dette publique, il serait malvenu de considérer la situation française comme satisfaisante, même si personne ne connaît le « seuil critique » à ne pas dépasser en la matière, et surtout pas le FMI[3]. Selon les prévisions de ce dernier pour 2014, la France est classée de justesse dans le « top ten », mais reste en-dessous de la moyenne de la zone Euro et nettement en dessous de la moyenne des pays (développés) de l’OCDE[4] :

 

1-      Japon : dette publique de 242,3 % du PIB.

2-      Grèce : dette publique de 174 % du PIB.

3-       Italie : dette publique de 133,1 % du PIB.

4-       Portugal : dette publique de 125,3 % du PIB.

5-       Irlande : dette publique de 121 % du PIB.

6-       Etats-Unis : 107,3 % du PIB.

7-       Belgique : 103,7 % (chiffre de janvier 2014)

8-       Espagne : 99,1 % du PIB.

9-       Royaume-Uni : 95,3 % du PIB.

10-    France : 94,8 % du PIB.

Zone Euro 96,1%

Pays développés : 109,2 %

 

Encore faut-il rappeler qu’en France, la dette privée (des ménages) est très inférieure à ce qu’elle est dans la plupart (voire dans tous) les pays de ce classement ; notre situation globale en matière de dette est donc sensiblement meilleure.

 

·         En ce qui concerne la productivité, on ne rentrera pas dans les débats techniques sur sa mesure (productivité du travail, productivité du capital, productivité globale des facteurs ou PGF …). Il est certain que dans beaucoup de pays, France incluse, la PGF par exemple est en baisse, ce qui contribue à réduire le taux de croissance. Ceci pourra faire l’objet d’une autre newsletter … Mais puisque nous sommes censés ne pas travailler, jetons un regard sur une mesure simple de la productivité du travail (le PIB par heure de travail en 2013, statistiques sur la productivité de l’OCDE, 2014) et comparons-nous à d’autres pays, a priori forcément meilleurs que nous : Allemagne, Espagne, Italie, Portugal, Royaume-Uni.

 

Surprise ! Nous sommes les meilleurs (graphique ci-dessous) !

 

Evidemment ce résultat est à interpréter : il reflète aussi le fait que le nombre d’heures ouvrées est plus faible que dans les autres pays (c’est au Portugal qu’on travaille le plus selon ces données). Une façon de dire que ceux qui travaillent en France travaillent mieux qu’ailleurs (moins fatigués !?). La différence vient d’ailleurs moins de la durée hebdomadaire (plafonnée par exemple à 40h au Portugal mais à 48h en France comme en Allemagne) que du faible taux d’activité des jeunes et des séniors en France. En durée hebdomadaire, la France est en effet au-dessus de la moyenne

 

 

·         Pour terminer, jetons donc un coup d’œil sur la durée du travail hebdomadaire de l’ensemble des salariés. Les chiffres habituellement commentés concernent uniquement les salariés à temps complet et classent la France en dessous de la moyenne européenne[5]. C’est oublier le travail à temps partiel, choisi ou subi, qui est par exemple beaucoup plus important en Allemagne qu’en France (ce qui fausse, soit dit en passant, les comparaisons en matière de chômage …).

 

Lorsqu’on réintègre ces travailleurs « oubliés », et en comptabilisant les heures supplémentaires, la France travaille plus que l’Allemagne, en durée hebdomadaire (Source : Eurostat et OCDE).

 

En tête du classement, on trouve les Grecs (42,1 heures), suivis de près par les Bulgares, les Slovaques et les Polonais (40,7). Les Hollandais se situent en bas du classement en travaillant une dizaine d’heures de moins par semaine (30 heures) devant les Danois (33,7 heures). Les Français, avec 37,4 heures en moyenne par semaine, se situent juste au-dessus de la moyenne européenne des 28 Etats membres (37,2) et nettement devant l’Allemagne (35 heures !).

*

Pour conclure, convenons que la situation actuelle de la France est clairement mauvaise, mais pas pire qu’ailleurs en Europe, voire meilleure sur certains plans. Quant aux causes du sur-place européen, une question qui revient brutalement dans l’actualité française au moment où nous écrivons, nous en avons déjà suffisamment parlé. Force est de constater que l’Europe (la Zone Euro en particulier) récolte ce qu’elle a semé. Et qu’on ne m’accuse pas de faire de « l’Euro-bashing » !

 

[1] Signe supplémentaire de notre déclin !

[2] Vincent Champain est  directeur des opérations France chez General Electric et co-Président de l’Observatoire du Long terme.

[3] Voir notre Newsletter n° 150 du 2 mai 2013 : « Les certitudes ébranlées ». Voir aussi les conclusions de trois chercheurs du FMI : Andrea Pescatori, Damiano Sandri et John Simon dans une étude de février 2014 intitulée « Dette et croissance : y a-t-il un seuil magique ? » (« Debt and Growth: Is There a Magic Threshold ? »).

[4] Source : IMF Fiscal Monitor, octobre 2013, sauf pour la Belgique.

[5] Voir par exemple Challenges. fr : « La durée de travail en France est (presque) la plus faible d’Europe », 25 juin 2014

 

A propos de l'auteur
Louis Alexandre de Froissard
Prendre rendez-vous