Par Louis Alexandre de Froissard le 14/02/12

Les investisseurs de long terme sont-ils des sauveurs ?

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La France a créé en 2008 son fonds souverain, le Fonds stratégique d’investissement, chargé de prendre des participations dans des secteurs stratégiques avec l’objectif affiché de soutenir ces secteurs face aux spéculateurs avides de profits immédiats et prompts à dépecer les entreprises incapables de se plier à leurs exigences de court terme. Cet objectif est-il réaliste et, plus généralement, les investisseurs à long terme sont-ils une bénédiction pour les entreprises dans lesquelles ils investissent.

 

A première vue, cela n’a rien d’évident. Si les marchés sont « efficients », c’est-à-dire si les prix des actions d’une société à un instant donné reflètent sa vraie valeur, l’horizon des investisseurs n’a aucune importance.

Si les actionnaires d’une entreprise peuvent trouver à tout moment des acheteurs prêts à acquérir ses actions à leur véritable valeur, ni le prix ni les capacités de financement de cette société ne seront affectés par l’horizon des investisseurs qui le détiennent.

L’intuition et la recherche financière suggèrent toutefois que les prix des actifs financiers peuvent dévier occasionnellement de leur valeur « fondamentale », et ce particulièrement en période de crise, lorsque de nombreux acteurs des marchés, par choix ou par obligation, vendent les titres qu’ils détiennent.

 

Une étude récente a mis en évidence ce phénomène en étudiant un échantillon de fonds mutuels américains. Cette étude ce focalise sur les fonds dont les clients effectuent des retraits importants. A la suite de ces retraits, les fonds doivent liquider une partie de leurs portefeuilles, créant ainsi une pression vendeuse sur les titres qu’ils détiennent. Mais, et c’est là que l’étude est intéressante, les fonds vendent leurs titres non pas parce qu’ils anticipent la baisse de leur valeur, mais parce qu’ils doivent le faire pour rembourser leur clients.

Or cette pression vendeuse, bien qu’indépendante de la valeur fondamentale des titres, conduit à une baisse des prix des actions détenues par les fonds.

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Il y a fort à parier qu’en période de crise bancaire telle que celle que nous connaissons actuellement, l’obligation pour les banques de vendre des actifs pour alléger leurs bilans les conduise à « brader » ces actifs qui, de ce fait s’échangent à des prix anormalement bas. C’est dans un tel contexte que l’horizon des investisseurs peut avoir son importance. En cas de crise boursière, les investisseurs de long terme peuvent attendre la fin de la crise patiemment, sachant que ses effets sur les prix ne seront que temporaires. Les court-termistes, au contraire liquident les titres dont la baisse des prix ne sera pas corrigée rapidement. Ce faisant, ils aggravent la baisse des prix. Dans une étude réalisée par des chercheurs de la Stockholm School of Economics, les performances boursières des firmes cotées sont analysées en fonction de la structure de leur actionnariat après la chute de la banque Lehman Brothers en 2008. Cette étude confirme qu’au cours de la crise boursière qui a suivi cette faillite, les entreprises dont les actionnaires étaient les plus long-termistes ont subi des chutes de cours plus modestes que celles qui étaient davantage détenues par des investisseurs de court terme (voir graphique).

 

Malheureusement, plus une crise boursière est sévère, plus les court-termistes sont nombreux. Considérons les fonds mutuels évoqués plus haut. Si leurs clients, souhaitant échapper à la crise boursière, récupèrent leurs économies, ces fonds n’ont d’autre choix que de céder les titres qu’ils détiennent, devenant par la même occasion des investisseurs court-termistes. Les seuls investisseurs réellement de long terme sont donc ceux qui ont la certitude de ne pas avoir de besoins de liquidités à court-terme. C’est le cas des fonds de pension, dont les besoins de liquidité sont graduels et bien anticipés, ainsi que des fonds souverains qui sont donc susceptibles d’épargner des entreprises ou des secteurs fragiles en cas de crise.   

2012-02-14

 

Article de François Derrien et Christophe Perignon, professeurs de finance à HEC Paris

« Enjeux Les Echos »

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