Par Louis Alexandre de Froissard le 25/10/15

 

Il nous a paru intéressant de partager avec vous cet article de l’Agefi :

L’assurance vie française ne fera pas l’économie d’une douloureuse transition

 

L’assurance vie française ne fera pas l’économie d’une douloureuse transition

Valéry Jost, associé, Forsides livre une analyse de la réforme des taux garantis qui se prépare en Allemagne. Un point de vue éclairant à l’heure où le marché français, pourtant bien moins engagé sur des garanties de taux, s’interroge sur l’avenir du fonds en euro

Depuis le début du mois d’octobre, l’intention affichée par le gouvernement allemand de mettre un terme à la garantie de taux des contrats d’assurance vie a suscité une vive émotion en Allemagne.Il est vrai que l’assurance vie y occupe comme en France une place privilégiée dans l’épargne des ménages, avec 92 millions de polices en cours, 93 milliards d’euros de versements en 2014, un rôle affirmé dans la préparation de la retraite, et que le taux garanti en est la pierre angulaire. 

Cette annonce n’a pas manqué d’être relayée de ce côté-ci du Rhin, où les lourds engagements de l’assurance allemande sont suivis avec attention, à l’heure où le marché français, pourtant bien moins engagé sur des garanties de taux, s’interroge sur l’avenir du fonds en euros.

 

La France, cette vertueuse exception.

 

Car la situation allemande, avec un taux garanti moyen estimé à 3,1 % en 2013, est révélatrice d’un paysage européen où la France fait figure de – vertueuse – exception. Le bilan tiré par l’EIOPA des tests de résistance 2014 montre que sur 21 Etats membres où des données ont pu être recueillies, le niveau moyen des taux garantis serait supérieur à 3,0 %. Ce niveau est aujourd’hui de l’ordre de 0,6 % en France.

 

Avec des emprunts d’Etat délivrant autour de 1 % de rendement à 10 ans (et même 0,5 % en Allemagne), ces hauts niveaux de garanties expliquent que, selon ces mêmes tests de résistance, un quart des entreprises d’assurance européennes ne respecteraient pas leurs exigences de solvabilité dans un scénario de taux bas durable.

 

En Allemagne, le taux accordé à la souscription est garanti pour toute la durée du contrat.

 

Le taux garanti est en Allemagne une institution de 114 ans d’âge. Sur les trente dernières années, il a évolué entre 3,0 et 4,0 %, culminant à 4,0 % entre 1994 et 2000 et amorçant depuis un déclin qui l’a conduit aujourd’hui à 1,25 % depuis le 1er janvier. Mais le taux accordé à la souscription est garanti pour toute la durée du contrat (et souvent, s’agissant de produits destinés à la retraite, de la vie de l’assuré lui-même), de sorte que le portefeuille se comporte avec une très grande inertie et conservera très longtemps les garanties accordées par le passé.

 

Des atouts qui tiennent à une certaine opacité de l’offre.

 

L’assurance allemande a bien encore quelques atouts pour affronter l’hiver obligataire qui s’annonce. Ces atouts tiennent d’abord, il faut bien le reconnaître, à une certaine opacité de l’offre. Par exemple, les taux garantis si prisés ne portent en réalité que sur une partie de la prime, non explicitée ni contractuelle, généralement comprise entre 70 % et 80 %, voire moins. Un taux de 1,25 % représente donc moins de 1 % une fois rapporté à la prime totale. Cette assiette réduite s’explique par le fait que les contrats ne se limitent pas à l’épargne mais incluent des garanties de prévoyance et des frais élevés. S’y ajoute le fait qu’à l’instar des anciens contrats français à frais précomptés, l’épargnant qui résilie précocement son contrat est  pénalisé.

 

Ensuite, les pouvoirs publics ont récemment modifié en juillet 2014 les règles de participation des assurés aux bénéfices des contrats, imposant d’un côté une plus grande redistribution des résultats techniques mais supprimant de l’autre, sous certaines conditions, l’obligation de redistribuer la moitié des plus-values latentes constatées à l’expiration des contrats.

 

Enfin, depuis 2011, les assureurs sont tenus de constituer une provision pour faire face à la baisse des taux, la « Zinszusatztreserve », dont la constitution s’est très fortement accélérée en 2014 et qui représentait en mai 2015 environ 21 milliards d’euros. Si constituer des réserves aujourd’hui pour anticiper des pertes demain peut aider à « retenir son souffle », pour reprendre l’expression des assureurs allemands eux-mêmes, cela ne peut rétablir un système structurellement déséquilibré et en risque d’asphyxie. Certains assureurs peinent déjà à financer cet effort de provisionnement et la profession réclame d’en revoir le calibrage.

 

Les assureurs vie allemands devront revoir leurs engagements.

 

La profession n’épargne pas ses critiques à l’encontre de la politique d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE), qu’elle accuse de pénaliser les investisseurs à long terme, d’encourager la spéculation, de favoriser la formation de bulles et de détourner des réformes nécessaires pour renouer avec une croissance durable. Mais il y a tout lieu de penser qu’abandonnés par un actif au rendement défaillant, à quoi ni la virulence de leurs critiques à l’encontre de la BCE ni leurs appels désespérés au retour de la croissance en Europe ne pourront rien, les assureurs vie allemands devront d’une manière ou d’une autre revoir leur passif et donc leurs engagements.

 

Si c’est bien le sens de la réforme de 2014, la simple confrontation du taux du Bund 10 ans, à 0,5 %, et du taux moyen garanti au passif, qui exige un rendement de 3 %, laisse perplexe quant à la capacité du secteur de résoudre l’équation sans aller plus loin.

 

Le marché n’est évidemment pas mûr pour une telle remise en cause et de fait, la réforme allemande, qui devrait entrer en vigueur avec les nouvelles normes Solvabilité II, est une réforme en trompe-l’œil.

 

 

Il ne s’agit pas d’une banqueroute de l’assurance vie.

 

D’un côté, elle est généralement perçue comme l’abolition des taux garantis, notamment par les associations d’assurés, qui y voient rien moins que la « banqueroute » de l’assurance vie traditionnelle et crient à la mort de l’assurance vie classique. La réalité est bien plus nuancée.

 

Le ministère des finances lui-même minimise la portée de sa réforme. En fait, les assureurs n’avaient pas à proprement parler l’obligation de garantir un taux minimal dans leurs contrats.

 

Mais, une telle garantie constituant un engagement très long, sur plusieurs dizaines d’années, voire viager, le Ministère des finances, afin de protéger les assureurs contre eux-mêmes, fixait traditionnellement, chaque année, le taux maximal auquel ils pouvaient calculer leurs provisions, ce qu’on appelle un taux technique. C’est sur ce taux que, sans nécessité technique mais par un extraordinaire grégarisme de marché, venaient s’aligner de facto les taux garantis de tous les contrats émis dans l’année, au point d’entretenir une confusion presque parfaite entre ce paramètre technique d’une part et cette garantie phare d’autre part.

 

Excipant de l’entrée en vigueur prochaine de Solvabilité II, dont les exigences de capital sont censées sanctionner toute garantie excessive, les autorités allemandes ont donc pris une décision digne de Ponce Pilate, estimant que la fixation d’un taux technique maximal « n’était plus nécessaire ».

 

Ainsi, il sera toujours possible de garantir un taux, mais la référence prudentielle officielle aura disparu. Ceci a le double effet d’indigner les représentants des assurés qui y voient la fin des taux garantis, et d’inquiéter les assureurs, qui craignent au contraire de voir un certain nombre d’entre eux s’engager dans des promesses inconsidérées, que le régime antérieur leur interdisait.

 

Trois enseignements sont à tirer de cette chronique de l’assurance allemande, dont la fin est loin d’être écrite.

 

  • Tout d’abord, dans un pays qui a activement misé sur la capitalisation, un étonnant parallèle avec les déboires de la retraite par répartition. Comme le soulignent les assureurs allemands, du fait de la baisse des taux, le coût de la retraite se renchérit, augmentant d’au moins 15 à 20 % l’effort d’épargne nécessaire, à prestation identique. Et ce n’est pas la moindre ironie que de lire dans les colonnes de die Welt[1] que, pour que les anciennes générations puissent recevoir leur taux garanti, c’est aux nouvelles d’y renoncer.

 

  • Ensuite, une expérimentation audacieuse du pouvoir réglementaire allemand, qui fait fond sur Solvabilité II pour supprimer le garde-fou existant. C’est donner beaucoup de crédit au nouveau système prudentiel, qui a pourtant dû faire l’objet de recalibrages conséquents, précisément pour améliorer la prise en compte des taux d’intérêt, et qui n’en a probablement pas fini. Le risque est bien que certains acteurs, et certainement pas les plus vaillants, ne jouent le tout pour le tout en maintenant leurs promesses à des niveaux artificiellement élevés. C’est la crainte de l’association des assureurs allemands, et l’analyse de l’expérience japonaise, où les pouvoirs publics avaient eux-mêmes encouragé de telles dynamiques, analogues à un système de Ponzi, peut nourrir ces appréhensions.

 

  • Enfin, au-delà du deuil, le mot n’est pas trop fort, de la garantie, c’est à une perte de repère sans précédent qu’est confronté un marché allemand jusqu’à présent focalisé sur l’épargne retraite à taux garanti. Les représentants des assurés déplorent d’abord la perte de comparabilité entre les produits puisqu’ils n’auront plus tous le même taux garanti. Qui plus est, les produits garantis eux-mêmes devront laisser un espace croissant aux unités de compte et à des produits bien plus complexes, avec lesquels ni les assurés, ni les intermédiaires ne semblent à l’aise. Nul doute que l’arrivée de normes européennes très exigeantes en termes de devoir de conseil et de protection du consommateur, ne vienne ajouter un nouveau choc à un marché aux produits jugés peu transparents, lestés de coûts de gestion élevés, et distribués par des intermédiaires liés pour une écrasante majorité da façon exclusive à un assureur.

 

L’assurance vie française est également concernée.

 

L’assurance vie allemande est donc au-devant d’efforts d’adaptation considérables, tant au niveau financier, que de la conception et de la distribution des produits. Mais l’hiver obligataire tombe sur une large partie de l’Europe et, pour s’y préparer, même si l’assurance vie française apparaît bien plus en avance que l’allemande, elle ne fera pas non plus l’économie d’une douloureuse transition. Celle-ci passera par le retrait progressif du fonds en euros et la commercialisation bien plus active de supports plus durables comme les unités de compte ou l’eurocroissance.

 

Dans un contexte où l’Europe légifère sans répit pour la protection de l’épargnant, les distributeurs, pris entre la nécessité de se redéployer sur des produits plus complexes à commercialiser et le respect d’un formalisme beaucoup plus exigeant, seront eux aussi soumis à rude épreuve.


[1] Die Welt – Finanzenartikel vom 11/10/2015 – Ausgabe 41

 

Deux options complexes sont proposées par le Trésor. Quel est l’enjeu ?
« Les deux options répondent au problème de market timing avec une même logique : un transfert de portefeuille des fonds euros vers les fonds euro-croissance. Rappelons que la consultation porte sur une solution temporaire, limitée jusqu’en 2018. Il n’est pas envisagé pour le moment de maintenir ce mécanisme dans le temps. La consultation répond à une situation très conjoncturelle. »
Certains y voient la mort des fonds euros…
« Au contraire : tout ceci est fait en pensant à l’avenir des fonds euros ! Aujourd’hui, leur rendement est encore relativement correct. Mais la collecte est très importante. Plus il y aura d’investissement sur ces fonds, plus le rendement sera dilué, mécaniquement. Prenons l’exemple d’un jeune fonds euros performant, avec 100 millions d’euros d’encours. Demain, s’il collecte un milliard, cela va détruire sa richesse ! Si améliorer la performance de l’euro-croissance permet de capter une partie des nouveaux investissements, cela peut protéger les fonds euros ! C’est une alternative aux nouveaux flux. »

 

 

NDLR / C’est sûr qu’en « piquant dans la caisse » des fonds Euros pour booster l’Eurocroissance par des offres marketing, on va freiner les souscriptions en Euros !!! Drôle de raisonnement car si l’ on veut protéger les anciens fonds Euros, il suffit de les fermer à la souscription et d’assumer le lancement d’offres moins rentables en raison de l’évolution des taux…. C’est une vision décidément « Generalienne » que de vouloir faire le bonheur du client malgré lui en particulier en jouant avec les provisions pour favoriser le nouveau souscripteur au détriment de l’ancien… On imagine ce que pourraient faire certaines compagnies avec ce genre de raisonnement sur des produits sans rachat et à sortie uniquement en rente. Dont acte !

 

 

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Louis Alexandre de Froissard
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